Pourquoi j’ai pris le chemin inverse de la migration en Haïti ?

Article : Pourquoi j’ai pris le chemin inverse de la migration en Haïti ?
Crédit: Pixabay
27 juin 2022

Pourquoi j’ai pris le chemin inverse de la migration en Haïti ?

J’étais en deuxième année d’études universitaires quand ma mère m’a forcée à émigrer en République dominicaine à cause de la situation d’insécurité en Haïti. J’ai dû abandonner mes études pour y aller sans savoir combien de temps j’allais passer dans ce pays nouveau pour moi, sans pouvoir continuer ma scolarité.


Une fois arrivée en République dominicaine, j’ai vite entamé des études de langue afin de pouvoir intégrer rapidement une université. Mais, la dégradation de la situation avait fini par compliquer davantage mes projets. J’avoue que ce n’était pas du tout facile. Je commençais à perdre l’appétit et je n’arrêtais pas de pleurer car, je ne m’imaginais pas aussi loin de ceux que j’aimais et de mes activités universitaires.


Selon les statistiques, plus de 500 000 Haïtiens vivent en République dominicaine notamment pour fuir l’insécurité et la misère qui sévit en Haïti. La majorité d’entre eux sont des jeunes, qui suivaient tant bien que mal des études en Haïti. On estime à 40 000, le nombre d’étudiants haïtiens en République dominicaine. Donc, je n’étais clairement pas la seule à être dans cette situation qui est devenue depuis les cinq dernières années, la seule alternative pour les Haïtiens ne pouvant pas quitter le pays, faute de mieux.


Après neuf mois en République dominicaine, j’ai décidé de prendre la route inverse de la migration haïtienne pour rentrer en Haïti. J’avais décidé de ne plus y rester. Je disais à ma mère que je voulais retourner en Haïti pour poursuivre mes études en sciences de l’éducation. Elle a vite cru que je suis devenue folle, car les jeunes Haïtiens ne rentrent pas en Haïti pour faire des études, au contraire, ils souhaitent tous partir.


Un mardi matin, soudainement, j’ai décidé que je ne passerai pas la journée sans rien faire et j’ai pris ma valise. J’y ai ajouté mes appareils électroniques pour prendre la route de la première république noire indépendante. Sur le chemin du retour, je me suis sentie semblable à une héroïne, d’un pan de l’histoire de mon pays, tellement ce choix me paraissait difficile et que je le considérais toute de même comme une victoire.

paysages Haïti
Paysage haïtien sur le chemin du retour. Crédit :  Fritzline Désir


Une fois en Haïti, ma mère était surprise de me voir. Pour deux raisons, non seulement elle ne savait pas que j’allais venir et deuxièmement parce j’avais trop maigri. Me regardant d’un air bizarre, elle me demanda : « tu vas bien, tu es malade » ? Je lui ai dit que je vais bien, et que je ne suis pas malade. Je suis tout simplement une jeune fille qui est convaincue que l’éducation peut contribuer à changer ce pays.


Les gens qui quittent le pays pour aller étudier à l’étranger ont tendance à ne plus revenir. Selon une étude de la BID, le taux de fuite des cerveaux haïtiens dépasse les 85 %. Cette déperdition intellectuelle joue un grand rôle dans la situation instable que connait Haïti depuis plusieurs années.


La situation des intellectuels qui fuient Haïti doit changer parce que le pays à besoins de ses fils pour son progrès et son développement, mais on ne va pas y arriver si les gens qui sont formés sont incertains quant à leur avenir en Haïti. Les Haïtiens doivent rester car le développement d’un pays passe avant tout par ses ressources humaines, et pour que les générations à venir ne se trouvent pas dans la même situation qu’aujourd’hui, les Haïtiens doivent rester en Haïti pour contrer le système et participer au progrès du pays.
Face à la faiblesse de l’État, je souhaite m’investir à créer un avenir meilleurs pour mes compatriotes. Je suis persuadée que l’éducation est la première arme de développement massive d’un pays. J’ai repris mes études en sciences de l’éducation dans ce pays, bravant tous les jours la peur des enlèvements, l’insécurité, la pauvreté afin de construire la nouvelle école du progrès pour les filles et les fils d’Haïti.

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Commentaires

Junior Darius
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Merci pour ce beau texte, très profond !
Toutes mes félicitations.
Bon courage !

Fritzline Désir
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Merci Junior Darius de votre commentaire.

plumesoninke
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Super, beau récit ! Tu fais la fierté africaine.

Fritzline Désir
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Merci Plumesoninke ! Par contre, je suis haïtienne, mais africaine de cœur.